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🧠 Le libre arbitre chez les animaux : mythe anthropomorphique ou rĂ©alitĂ© mesurable ?

Lapin libre arbitre

Ce que la science sait, ce qu’elle ignore, et ce que votre lapin fait pendant que vous dormez.


I. Libre arbitre : de quoi parle-t-on ?

Le libre arbitre, en philosophie, dĂ©signe la capacitĂ© de choisir librement ses actions, en toute conscience, sans contrainte extĂ©rieure ni dĂ©terminisme. En clair : agir non parce qu’on doit, mais parce qu’on veut.

Appliqué aux humains, le sujet est déjà controversé. Appliqué aux animaux, il devient explosif.

Peut-on parler de “choix” chez une pieuvre ?
Un chien peut-il “vouloir” dĂ©sobĂ©ir ?
Un lapin peut-il “dĂ©cider” de ronger votre cĂąble par pure insubordination ?

C’est ici qu’interviennent les neurosciences, l’éthologie cognitive, et la notion de volition — un terme bien plus solide scientifiquement que “libre arbitre”.


II. Volition, pas métaphysique : une approche observable

La volition, c’est la capacitĂ© d’un ĂȘtre vivant Ă  initier une action de façon autonome, sans ĂȘtre directement poussĂ© par un stimulus extĂ©rieur.

On ne cherche pas à savoir si un animal “est libre” ou “a une ñme”.
On se demande s’il est capable de dĂ©cider lui-mĂȘme d’agir, selon un but qu’il a intĂ©grĂ©, dans un contexte donnĂ©.

Autrement dit : si un lapin, face Ă  un cĂąble, choisit de ne pas le ronger
 puis change d’avis
 puis recommence une minute plus tard
 il y a peut-ĂȘtre lĂ  plus qu’un simple rĂ©flexe.


III. Trois indices concrets d’une prise de dĂ©cision volontaire

1. La flexibilité comportementale

C’est la capacitĂ© Ă  ne pas toujours agir de la mĂȘme maniĂšre face Ă  une situation identique.
Exemple : une pieuvre qui change de technique de chasse selon la forme de la proie.
Ou un chimpanzé qui adapte sa stratégie de coopération selon la position hiérarchique des autres.

Cette souplesse suppose une forme de traitement de l’information, et une Ă©valuation du contexte — autrement dit, un calcul cognitif. Pas un automatisme.

2. L’inhibition de l’impulsion

On l’appelle aussi “self-control”.
Dans les expĂ©riences de type delay of gratification, certains animaux sont capables d’attendre une meilleure rĂ©compense, plutĂŽt que de saisir la premiĂšre disponible.

Chez les corbeaux ou les geais, par exemple, il n’est pas rare qu’ils attendent plusieurs minutes sans bouger, face à une friandise, pour obtenir plus ou mieux ensuite.
Ce n’est pas un simple apprentissage : c’est une forme de rĂ©sistance interne Ă  l’envie immĂ©diate.

3. L’hĂ©sitation ou la dĂ©libĂ©ration comportementale

Chez les rats, on observe un phénomÚne trÚs particulier appelé VTE (vicarious trial and error).
Lorsqu’ils doivent choisir entre deux options incertaines, ils s’arrĂȘtent, regardent alternativement les deux issues, parfois font demi-tour, ou changent plusieurs fois de direction.

Ce comportement est accompagnĂ© de modulations cĂ©rĂ©brales mesurables (oscillations thĂȘta, activation hippocampique), qui Ă©voquent une sorte de simulation mentale.
On est loin du simple réflexe.


IV. Ce que montrent les neurosciences

Le cerveau humain prend ses décisions complexes dans une région appelée cortex préfrontal.
Cette zone régule :

  • l’inhibition (dire non Ă  un comportement automatique)
  • la planification
  • l’évaluation des consĂ©quences

Longtemps, on a pensĂ© que seul l’humain (et Ă  la limite les grands singes) possĂ©dait ce cortex.
Faux.

✔ Les chiens, les chats, les rats, les porcs, les chevaux, les oiseaux
 possĂšdent tous des zones prĂ©frontales fonctionnelles, structurĂ©es diffĂ©remment, mais homologues sur le plan cognitif.

Chez les oiseaux, par exemple, le nidopallium caudolaterale joue un rĂŽle similaire.
Chez les rats, des régions comme le cortex prélimbique sont activées lors de décisions complexes.

Et les pieuvres ? Elles ont un systĂšme nerveux totalement diffĂ©rent du nĂŽtre — rĂ©parti dans leurs bras — mais elles dĂ©montrent malgrĂ© tout des capacitĂ©s de choix, d’inhibition et d’exploration stratĂ©gique.


V. Libre arbitre ou illusion cognitive ?

Reste un problÚme fondamental : tout comportement est biologiquement conditionné.
Neurotransmetteurs, hormones, apprentissages, mémoire émotionnelle

Tout ça influence ce que l’animal fait.

Mais influencé ne veut pas dire entiÚrement déterminé.
Chez les espÚces les plus flexibles, on voit émerger une forme de choix modulé :
– un comportement retardĂ© ;
– un comportement modifiĂ© selon l’observateur ;
– un comportement auto-initiĂ© sans pression immĂ©diate.

Est-ce de la liberté ? Non, au sens métaphysique.
Mais c’est une forme primitive de libertĂ© comportementale. Et ça, c’est observable.


VI. Cas d’école : l’animal domestique et la transgression stratĂ©gique

Prenons un exemple trĂšs simple : un chien assis devant une friandise.
Vous lui avez dit “non”. Il attend. Vous dĂ©tournez le regard. Il mange.

Ce n’est ni impulsif, ni instinctif. C’est calculĂ©.

MĂȘme chose chez les chats. Ou chez les lapins.

🐇 Un lapin qui s’avance vers un cĂąble, s’arrĂȘte, vous regarde, recule
 puis y revient quand vous partez

Ce n’est pas juste de la pulsion. C’est une forme de stratĂ©gie sociale.
Et peut-ĂȘtre, de volition silencieuse.


VII. Conclusion

Les animaux ont-ils un libre arbitre ?
Pas au sens absolu, non.
Mais certains ont la capacitĂ© d’inhiber une envie, d’évaluer un contexte, de prendre des dĂ©cisions complexes, et d’agir diffĂ©remment selon les circonstances.

Est-ce encore un automatisme ? Ou le dĂ©but d’un “soi” ?

Nous n’avons pas la rĂ©ponse.
Mais votre lapin, lui, a choisi.
Et il a rongé le cùble.
En connaissance de cause.


📚 Sources scientifiques

  • Redish, A. D. (2016). Vicarious trial and error. Nature Reviews Neuroscience.
  • Beran, M. J. (2015). Delay of gratification in nonhuman animals. Current Directions in Psychological Science, 24(3), 173–179.
  • Clayton, N. S., & Emery, N. J. (2005). Corvid cognition. Current Biology, 15(3), R80–R81.
  • Uylings, H. B. M., Groenewegen, H. J., & Kolb, B. (2003). Do rats have a prefrontal cortex? Behavioural Brain Research, 146(1–2), 3–17.
  • Amodio, P., & Fiorito, G. (2019). Cephalopod consciousness: behavioural evidence. Animal Sentience, 27(1).
  • Wascher, C. A. F., & Bugnyar, T. (2013). Behavioral responses to inequity in reward distribution and working effort in crows. Animal Behaviour, 85(3), 541–548.
  • Osvath, M., & Karvonen, E. (2012). Spontaneous innovation for future deception in a male chimpanzee. PLOS ONE.

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